Le scrutin présidentiel de février 2019 s’annonce comme la prolongation, au sens sportif, des Législatives de l’année dernière. Un deuxième tour, en quelque sorte, tant y seront présents, outre la tension politique coutumière, les défaillances organisationnelles, ainsi que les frustrations, méfiances et polémiques qu’elles avaient engendrées et qui demeurent encore. Les résultats de ces Législatives avaient donné une très large majorité parlementaire à la coalition présidentielle. Mais cela était dû au mode de scrutin. Car traduit en mode proportionnel intégral (ce qui est en vigueur à la Présidentielle), le score aux Législatives fait moins de 50% et n’aurait pas permis au Président sortant de l’emporter au premier tour, encore moins avec 60% des voix, comme il en a donné la consigne à ses partisans.
Cet objectif s’inscrit contre le constat de la baisse régulière des scores de la coalition présidentielle au fil des consultations populaires, même à forte implication du chef de l’Etat, depuis l’élection de ce dernier au second tour avec 65% des suffrages. Il faudra donc non seulement stopper cette tendance à la baisse, mais encore l’inverser pour la porter à plus de 50% pour la réélection puis à 60% pour la consigne électorale. Des obstacles devront être franchis, au premier rang desquels des menaces réelles à la stabilité de la coalition présidentielle «Bennoo bokk yakaar» (Bby).
Une série d’incidents a marqué Bby dans la dernière période. Le plus récent est la déclaration de dépit du musicien Youssou Ndour, bien connu pour son engagement en faveur du président : «Je suis déçu de mon compagnonnage avec Macky Sall». Le message est adressé au candidat sortant, dans le double contexte de l’année préélectorale et des désordres au sein de sa coalition. La sortie de l’artiste fait écho, en effet, à la démission (révocation ?) de l’ancien ministre Thierno Alassane Sall, passé à l’opposition, et des critiques du Médiateur de la République et ancien ministre des Affaires étrangères, Alioune Badara Cissé.
Ce dernier n’a pas franchi le pas de la rupture, mais il s’en est pris à la manière «inadmissible» dont les Législatives de juillet 2017 avaient été conduites. Il regrette la déliquescence des institutions de la République, la dévalorisation de l’image du Sénégal à l’étranger, les marchés de gré à gré, les «turpitudes sociales» et les «turbulences politiques des citoyens» etc. (Les Echos, 26 février 2018). Peu d’opposants ont procédé à une critique aussi radicale que celui qui continue pourtant à se proclamer «géniteur» (sic) de l’Alliance pour la République, le parti présidentiel (Emission«Quartier général», Tfm 06 août 2016).
Au total, il s’agit de ce qu’on peut interpréter comme une véritable offre d’alternative à la gouvernance et, peut-être, au leadership de Macky Sall. Cela fait entrevoir la possibilité d’un débat que les conditions d’accès au pouvoir de l’actuel président de la République n’avaient pas permis. «Bby» s’était constituée dans la précipitation et l’urgence de faire partir, à tout prix, l’ancien président Abdoulaye Wade. Une dynamique de déconstruction s’est emparée d’autres membres de Bby, la gauche notamment. Une crise élargie de la Coalition gouvernementale n’est pas seulement une vue de l’esprit. D’ailleurs, le président de la République a fait entrevoir à tous ses alliés l’effondrement collectif, auquel mènerait sa défaite. Des bruits alarmants n’avaient pas manqué, suscités par les départs des ministres-conseillers Malick Ndiaye et Amsatou Sow Sidibé. Mais ces événements n’avaient pas fait l’objet, à l’époque, de l’examen sérieux qu’ils méritaient.
Mame Less Camara