Le verdict de cinq ans de prison contre le maire de Dakar divise l’opinion avec une telle netteté qu’il constituera un puissant déterminant de l’attitude des électeurs à la Présidentielle de février 2019. L’appréciation, qui a été faite de cette sentence, se répercutera, largement, sur le vote pour ou contre le Président sortant. Un sondage pourrait contourner la loi interdisant la publication des intentions de vote en se focalisant sur cet aspect. Il n’est que de noter la quasi-unanimité avec laquelle la décision du juge est acceptée ou rejetée, selon que l’on est du côté de la majorité gouvernementale ou de l’opposition. Le même syndrome frappe l’opinion.
Ensuite, il faut reconnaître que le procédé qui consiste à solliciter la loi seulement, lorsque le verdict est connu d’avance, commence à être familier aux Sénégalais.
A trois reprises, le régime du Président Macky Sall profite de situations juridiques imprécises pour engager et gagner des procès de grande ampleur contre des adversaires politiques ou faire avancer ses pions. La Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), pourtant au rebut depuis des lustres et réputée obsolète, a été ressuscitée spécialement pour rattraper et condamner Karim Wade, fils et homme de confiance d’Abdoulaye Wade, ancien Président de la République. Ensuite, ce fut le tour du Conseil constitutionnel d’être réveillé de son hivernation entre deux élections pour soulager le Président du fardeau de son engagement à réduire son septennat de deux ans. Ce qui fut fait sans ambages.
Il reste en réserve quelques lois de la République, qui sont de véritables bombes dormantes que l’on peut réactiver à tout moment, comme le montre l’affaire Khalifa Sall. Le (bientôt ancien ?) maire de Dakar a été foudroyé par la gestion de la Caisse d’avance qu’ii a administrée pourtant de la même manière que plusieurs de ses prédécesseurs à la tête de la capitale. C’est-à-dire de manière illicite, mais tolérée depuis des lustres par l’Administration qui a placé des fonctionnaires de haut niveau pour en exécuter les tâches réglementaires.
L’instrumentalisation de la justice est l’accusation la plus fréquemment lancée par ceux qui ne partagent pas la sentence du juge contre l’ancienne tête de liste de la Coalition «Manko taxawu Senegaal». Pourtant, dans le cas d’espèce comme dans les deux autres, force est de constater que des lois «traînaient» là pour faire l’affaire quand on cherche un moyen vertueux de liquider des adversaires en les neutralisant par la prison ou par la peur.
La Crei n’a jamais été supprimée, de manière formelle. Elle a, donc, gardé une existence légale qui a permis sa remise en service avec autant de facilité. L’avis du Conseil constitutionnel était cousu de fil blanc, puisque l’instance ne pouvait pas dire autre chose que ce qui est déjà dans la Constitution. Elle a, seulement, ignoré le contexte et les engagements pris à l’intérieur et à l’extérieur du Sénégal par Macky Sall, qui a trouvé là le moyen de se libérer de ses promesses. L’utilisation de la Caisse d’avance comme fonds politiques avec des prédécédés déplorables a été traitée de la même manière par le Tribunal qui a appliqué rigoureusement la loi. Mais il a mis entre parenthèses tout ce qui pouvait relativiser la responsabilité du maire, à défaut de le déculpabiliser. Tout comme, la Crei, qui ne se donne même pas la peine de produire les preuves de ses accusations pour entrer en condamnation.
Un travail de déminage du champ juridique s’impose, pour débarrasser la justice des lois qui sont des chausse-trappes et d’autres pièges dont le citoyen est la vraie victime. On pourrait commencer par la loi Ezzan toujours en vigueur. D’autres lois oubliées attendent de revenir de leur mort réelle pour hanter les nuits d’opposants dérangeants.
Mame Less Camara