Mamadou Diop Decroix avait été exclu de l’Université de Dakar et enrôlé de force dans l’armée en mars 1971. Pr Abdoulaye Bathily, autre victime de cette mesure, en rappelle les circonstances dans son ouvrage «Mai 68 à Dakar» (Editions Chaka, 1992). Macky Sall avait dix ans et ses fonctions actuelles de président de la République étaient occupées par Léopold Sédar Senghor. Quarante-sept ans après, les Gouvernements sénégalais continuent d’arrêter Decroix et certains autres acteurs de l’époque comme Me Madické Niang ou Dialo Diop qui, à l’occasion, battent encore le macadam, porteurs des mêmes revendications démocratiques.
Ce piétinement est le signe que quelque chose refuse d’avancer, dans une démocratie, dont on est prompts à s’enthousiasmer des progrès, sans prendre le soin de les mesurer pour en guérir les stagnations et répriment. Les mêmes raisons qui avaient fait arrêter le futur député d’And-jëf en 1968, alors qu’il n’était qu’un élève, sont les mêmes qui l’envoient au poste de police durant toute une journée. Personne ne doit plus être arrêté au Sénégal, au motif qu’il organise une marche, pour manifester un quelconque sentiment. S’il le fit dans le respect de la loi, il faut alors le laisser marcher à la grande gloire des droits acquis par les citoyens au prix de souffrances, au risque parfois de leur vie. C’est ce que Martin Luther King disait à peu près aux autorités de son pays, à propos des Africains Américaines auxquels peu de libertés étaient reconnues.
Quelqu’un comme Mamadou Diop Decroix a payé le prix, bien plus souvent qu’à son tour, pour qu’un tel droit soit respecté. Il ne l’a pas fait tout seul mais il n’a pas cessé de le faire. Cela lui a valu de nombreuses arrestations : en 1968, 1969, 1971, 1975,1980, 1985. Il a été victime d’un traumatisme crânien en 1989, résultat d’une intervention policière musclée à la suite d’un sit-in d’un syndicat de l’ex-Oncad, dont il était le dirigeant. Lors de son passage dans l’armée, il a, une fois été laissé pour mort sur le terrain, à la suite d’un engagement avec l’armée colonialiste portugaise, qui combattait les forces de libération bissau-guinéennes.
La gauche politique sénégalaise n’a jamais récolté les fruits de son engagement pour les libertés et pour la démocratie. Il est pourtant difficile de concevoir la démocratie que l’on essaie d’édifier au Sénégal, sans se représenter les risques que des femmes et des hommes, militants de la gauche, ont pris avec leur sécurité, voire leur vie pour faire reculer l’autocratie.
Il faut sauver le soldat Decroix. Non pas, lui, en tant qu’individu, mais en tant qu’élément représentatif de tous ceux qui pensent, qui savent, qu’on peut faire mieux, en sauvegardant les libertés avec plus de rigueur et de respect pour le citoyen. Car en dernier ressort, il est détenteur légitime du pouvoir, en République. Cela implique que toutes les libertés soient restituées aux institutions : l’Assemblée nationale et la justice, en particulier.
Parler du soldat Decroix, comme dans le film de Spielberg, n’est pas gratuit. Il a été sous l’uniforme de l’armée nationale. Alors, plutôt que de l’arrêter, il serait opportun de l’inviter à la prochaine levée des couleurs. Un pas vers la décrispation.
Mame Less Camara