La lettre de démission du Conseil supérieur de la Magistrature adressée par Ibrahima Dème au Président de la République avait fait l’effet d’une bombe. Le ministre de la Justice d’alors, Me Sidiki Kaba, avait même menacé de le traduire en Conseil de discipline pour manquement à l’obligation de réserve. Mais elle n’est rien, comparée à la lettre de démission qu’Ibrahima Dème a «déposée» sur la table de la Magistrature. Parce que, cette fois-ci, il a, non seulement estimé devoir tourner, définitivement, le dos à sa famille judiciaire pour manquement du chef de l’Etat dans son obligation visant à garantir l’indépendance de la justice. Mais aussi, le très indépendant Ibrahima Dème a jeté un immense pavé dans la mare de la Magistrature, qui «est, de plus en plus, fragilisée, voire malmenée de l’intérieur comme de l’extérieur. La justice qui a perdu sa crédibilité et son autorité. Je démissionne d’une Magistrature qui a démissionné».
Il y a plus d’un an, Ibrahima Dème démissionnait du Conseil Supérieur de la Magistrature «pour dénoncer l’instrumentalisation de cette institution par l’Exécutif». Le magistrat pense que, «depuis lors, la Magistrature est de plus en plus fragilisée, voire malmenée de l’intérieur comme de l’extérieur». Il en est résulté, d’après lui, «une crise sans précédent de la justice, qui a perdu sa crédibilité et son autorité».
«La Magistrature est, de plus en plus, fragilisée, voire malmenée de l’intérieur comme de l’extérieur. La justice qui a perdu sa crédibilité et son autorité. Je démissionne d’une Magistrature qui a démissionné», écrit le juge.
Pour l’ancien membre du Conseil constitutionnel, la Justice ne joue plus son rôle de gardienne des libertés individuelles, de régulateur social et d’équilibre des pouvoirs. «Je démissionne d’une Magistrature, qui a démissionné. Cependant, je ne capitule point, car je resterai, indéfectiblement, attaché au combat pour l’indépendance de la justice, indispensable pour la survie de notre Nation et de notre démocratie. Ce combat ne saurait, en effet, être celui des seuls magistrats», indique-t-il. Avant de pointer un doigt accusateur sur le Chef de l’Etat, estimant que «le naufrage de la Justice, c’est non seulement un manquement du Président de la République à son obligation constitutionnelle de garantir l’indépendance de cette institution, mais c’est avant tout, la responsabilité d’une importante partie de la Hiérarchie judiciaire qui a distillé dans le corps, une culture de soumission qui a, progressivement, remplacé une longue culture d’honneur, de dignité et d’indépendance».
«En lieu et place d’une gestion transparente, sobre et vertueuse promise, on constate une gouvernance folklorique, clientéliste, népotiste, gabegique et laxiste»
Dans un autre registre, le magistrat démissionnaire constate, pour le fustiger, que «les fonctionnaires qui, jadis, étaient fiers et jaloux de leurs valeurs de neutralité, de désintéressement et soucieux de l’intérêt général, sont désormais contraints d’adopter une honteuse posture partisane et politicienne, qui est la seule permettant d’accéder ou de conserver des postes de responsabilité». Ibrahima Dème note que «ceux qui refusent d’adopter un tel comportement, sont, malgré leur compétence et leur probité, marginalisés et perdent, de ce fait, toute motivation indispensable à la bonne marche du service public». Il en conclut que «la politique politicienne et les intérêts privés ont, désormais, pris le dessus sur les intérêts supérieurs de la Nation, de sorte que ceux qui décident ne savent pas et ceux qui savent ne décident pas». Ce qui lui fait dire qu’en «lieu et place d’une gestion transparente, sobre et vertueuse promise, on constate une gouvernance folklorique, clientéliste, népotiste, gabegique et laxiste. Nos maigres ressources de pays pauvre et très endetté sont dilapidées à des seules fins politiciennes. Nos libertés publiques, durement acquises depuis des décennies, sont désormais devenues conditionnelles. La démocratie et la bonne gouvernance ne sont plus qu’un leurre».
La dernière partie de cette lettre de démission rendue publique est destinée au peuple. A ce dernier, le magistrat Dème demande de prendre ses responsabilités puisque, dit-il, celui-ci est coupable d’avoir toujours laissé faire ses dirigeants. «Nous méritons mieux que notre médiocre sort», persiste-t-il.
Omar Ndiaye