Alors que la procureure Fatou Bensouda vient discuter de l’opportunité d’ouvrir de nouvelles enquêtes au Congo, en complémentarité avec les enquêtes congolaises, où en sont les enquêtes sur les dizaines de fosses communes documentées par les Nations unies l’an dernier dans les provinces du Kasaï ? L’ONU avait évoqué jusqu’à 89 sites potentiels dont les coordonnées avaient été transmis à la justice militaire congolaise. Depuis, une équipe d’enquêteurs du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme avait été nommée pour aider à la sécurisation des preuves et des témoignages. Mais la coopération entre l’ONU et les autorités congolaises ne semble jusqu’ici pas avoir porté ses fruits.

Aucune fosse commune n’a été jusqu’ici exhumée (excepté dans le cadre de l’enquête sur la mort des experts de l’ONU, Michael Sharp et Zaida Catalan). Selon une source officielle congolaise, ce serait de la faute à l’ONU qui avait promis d’envoyer des experts légistes, la RDC ne disposant pas de toutes les compétences techniques nécessaires.

Un expert a été mis à disposition le mois dernier, confirme une source onusienne. Cette source dit aujourd’hui espérer que des missions conjointes d’enquête pourraient commencer dans les prochaines semaines.

Mais la collaboration entre l’ONU et la justice militaire congolaise reste en dents de scie, voire difficile même sur les cas impliquant des militaires congolais. Alors que des organisations de défense des droits de l’homme mettent en doute la volonté du gouvernement congolais d’enquêter, plusieurs contre-exemples sont cités : trois missions conjointes avec l’ONU l’an dernier à Mutshima, Sumbula et Djiboko, au Kasaï. Ou encore l’enquête menée par Kinshasa sur le massacre de Mwanza Lomba à la suite de la publication d’une vidéo montrant des soldats tuant de sang-froid des civils armés de bâtons.

Reste que si la justice militaire congolaise et l’ONU parviennent finalement à mener des enquêtes conjointes, rien ne garantit que les responsables seront arrêtés et inculpés. Pour preuve, le colonel François Muhire et ses hommes, soupçonnés de massacres à Tshimbulu au Kasaï Central, avaient déjà été identifiés comme les principaux responsables d’un massacre d’au moins 200 civils en février 2013 à Kitchanga dans l’est du pays. Malgré les quelque 400 témoignages recueillis à l’époque par la justice militaire congolaise et l’ONU, ces militaires n’ont jamais été inquiétés.

Le cas de la mort des experts onusiens tués au Kasaï

Une fuite au niveau du Conseil de sécurité des Nations unies crée de nouvelles interrogations sur la procédure congolaise contre les présumés assassins des deux experts de l’ONU en mars 2017 au Kasaï Central.

RFI et Reuters avaient en décembre dernier publié une enquête conjointe démontrant que plusieurs agents des services de sécurité de l’Etat et affiliés avaient organisé la mission qui avait coûté la vie à Michael Sharp et Zaida Catalan et leur avaient menti sur des points-clés. Selon une note datée du 18 avril et transmise par le département des affaires politiques aux Etats membres du Conseil de sécurité, les mêmes services de sécurité congolais entraveraient aujourd’hui l’enquête menée par la justice militaire congolaise, appuyée par le procureur canadien Robert Petit et ses experts nommés par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.

Ce que rapporte l’ONU dans cette note, c’est que malgré l’arrestation d’individus-clés, l’enquête continue d’être entravée par « les interférences continues de l’appareil sécuritaire congolais ». Quand les experts de Robert Petit sont autorisés à participer les 26 et 27 mars dernier à l’interrogatoire de suspects de présumés miliciens Vincent Manga et François Badibanga, ils disent obtenir quelques « informations utiles », mais notent aussi que des questions ou éléments de preuves sont laissés de côté par la justice militaire congolaise.

Plus grave encore, il leur est impossible de poursuivre l’audition puisque les deux individus sont transférés dès le lendemain à Kinshasa, mis au secret par les services de renseignements congolais. Cela avait déjà été le cas pour des témoins et même d’autres suspects arrêtés. L’un d’eux, Thomas Nkashama qui avait menti aux experts et qui avait été recruté par ces services après le meurtre, a été transféré à Kinshasa sans que la justice militaire congolaise n’ait même annoncé son arrestation, croit savoir l’ONU…

Depuis cette note datée du 18 avril 2018, selon des sources concordantes, deux des suspects sont revenus à Kananga. Le chef Bula Bula Tshimanga et le présumé milicien François Badibanga auraient même participé à une expédition de recherche des corps des accompagnateurs congolais des deux experts. Deux dépouilles ont été retrouvées et seraient en cours d’identification. Mais les avocats Bula Bula et Badinbanga disent toujours ne pas avoir accès à leurs clients. Ils annoncent leur intention d’attaquer en justice tous les interrogatoires et preuves réunies contre leurs clients lors de leurs détentions au secret ou en l’absence de leurs avocats.

Le procès des experts a été officiellement suspendu par la justice militaire congolaise depuis le 17 octobre 2017 et n’a pas repris depuis.

→ Revoir le webdoc RFI : violences au Kasaï

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